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Histoire d’une naissance – La venue au monde d’un ours au coin du feu

par | 2 Juil 2017 | Récits d'accouchements

L’idée venait de moi mais mon compagnon, accueillit immédiatement cette idée : pour la naissance de notre 1er enfant, nous serons juste nous sur la terre et sous le ciel.
Cette décision a fait son bout de chemin avant d’apparaître clairement à nos esprits de futurs jeunes parents mais elle fut toujours en pleine conscience, ouverte et surtout menée à deux.

A l’annonce de la conception de l’enfant notre choix est fondé, il ne nous est pas concevable d’accoucher à la maternité. Non que nous en ayons peur, nous ne concevons simplement pas le fait de donner la vie dans un lieu et un contexte si éloignés de notre mode de pensée. Après quelque lectures et notamment le visionnage du film « Loba » (C. Bechard), l’idée est bien ancrée et nous commençons à chercher une sage-femme libérale qui pourra nous assister dans notre projet de naissance.

Le choix est vite restreint, une seule femme dans mon département pratique légalement cette activité. Nous la rencontrons et malgré le bon contact nous visualisons très vite la contrainte. La première difficulté est que nous vivons trop loin de l’hôpital, si bien qu’après avoir réfléchi à de nombreuses alternatives de logement, fatigués, nous décidons de trouver une autre solution.

C’est à cette période (au début de mon 6e mois de grossesse) que je pars visiter ma famille. A l’occasion d’un cercle de tambour et d’un voyage chamanique je fais un rêve.
Je nous y vois en tenue d’Adam et Eve installés au bord d’un lac dans une petite hutte rouge et violette, moi hurlant de douleur mais dans la pure sérénité, donnant la vie. Seuls avec la nature. Plongés en nous-mêmes.
Aussitôt j’annonce mon choix au futur père : vivons mon rêve. Il accepte.

A mon retour, après avoir longuement discuté avec une femme ayant mis au monde seule ses 4 enfants, un ami me parle d’une femme, une sage-femme, qui propose des ateliers autour de la naissance en conscience. Nous nous sentons en demande de conseils et nous savons qu’il existe encore des barrières en notre cœur qu’il nous faut abattre avant de savoir vivre pleinement notre accouchement.

Ainsi, nous rencontrons D. et ses ateliers « naitre au monde ». Peu à peu une infinie confiance naît en nous, aidés par le ton ferme de cette lumineuse femme et sa « guidance » douce au voyage que nous faisons en nous même dans notre vie, nos âmes passées, nos souvenirs et nos attentes. Parfois des craintes apparaissent, chez nous et surtout autour de nous, nos amis et ma famille sont sceptiques, nous essuyons à de nombreuses reprises des mises en garde et autres « quelle folie! ». Mais la force est en nous et nous tenons le cap.
Après plusieurs rencontres et l’amitié qui pointe son nez, nous décidons ensemble que le jour venu, D. sera présente en conscience, chez elle et que nous pouvons l’appeler et la solliciter si le besoin s’en fait sentir. Sa bienveillance est d’une grande aide et nous remercions encore son travail accompli à nos côtés.

C’est à terme complet, à 4 h du matin que je ressens les premières contractions.
Ayant vécu les pires douleurs de lunes je m’attends à me tordre dans tous les sens mais je découvre en moi de grandes vagues de chaleur et des papillons tout le long de mon dos.
L’excitation est à son comble, enfin je vais rencontrer mon enfant, bercé neuf longs mois et plonger à la rencontre de ma féminité.
Je secoue mon compagnon : « ça y est, ça commence ! » et tandis qu’il profite de quelques heures de sommeil je descends dans le salon et me berce doucement sur le canapé après avoir allumé une grosse bougie.

Bien vite mon amoureux me rejoint, il allume un feu dans le poêle et nous installons devant un gros matelas garni d’une bâche et de draps.

Je surfe sur la vague des contractions, de plus en plus intenses, je les respire puis tombe dans le sommeil, me réveille encore et prends la douleur puis me rendors.

Au bout de quelque heures je suis prise d’intenses nausées, impossible d’avaler quoi que ce soit (de tout le travail) la seule pensée de me nourrir fait remonter en ma bouche un flot de bile. Je me force à boire un peu d’eau, nous nous habillons chaudement et sortons nous promener.
Nous marchons autour du petit lac derrière notre maison, le temps est couvert et j’ai grand peine à marcher, m’arrêtant tous les dix mètres pour imiter la tortue, je finis par vomir appuyée à une table de pique-nique. Mes pensées sont claires et sereines mais je commence à comprendre la difficulté du travail. Peu à peu, je rentre dans la transe.

Je répète intérieurement un mantra, pour moi et mon bébé en voyage : « Je suis sur la terre, je crois en toi, je crois en moi, tu es tel(lle) le cosmos et le ciel attend ton cri, viens ! »

Nous sommes de nouveau dans la maison de montagne, il est aux alentours de midi et les vagues de douleurs sont de plus en plus violentes, je n’ai plus aucun répit et commence à faire les cents pas. Je marche sans arrêt dans la maison chaude, parfois je sors sur le balcon et regarde l’étendue verte et orange sans pouvoir clairement rien distinguer.

Je suis tellement descendue au fond de moi que j’ai l’impression de ne plus vraiment être humaine, simplement de flotter dans un rêve. Je suis une louve qui se mord la langue dans sa grotte. Mes vêtements tombent peu à peu jusqu’à ce que je sois complètement nue, parfois je me réfugie sous une douche chaude et les larmes viennent sans que je ne pleure, mon corps se purifie encore et fait place.

Mes gémissements deviennent rauques, parfois la colère monte en moi, l’impatience, le doute, tout vient, je grimpe sur la table, danse et tape du pied, souffle et souffle encore, appelle ma mère d’un cri redevenant un instant une enfant en détresse.

Mon compagnon est d’une présence magnifique, il me rassure, me dit des choses douces et joue de l’utar. Malgré mon refus il accroche un drap aux poutres pour que je me soutienne et il vient me masser le dos de toute sa force. La douleur est si vive que je pousse ma tête dans son ventre en râlant, il m’incite à faire la danse de l’infini avec mon bassin et nous ondulons ensemble sous ses mains.
Souvent il est simplement là, m’observant, attentif à toute demande, chargeant le poêle encore et encore de bois. Il me sourit et la confiance revient.

Souvent, je rentre en communication avec le petit être, je le vois ondulant dans mon immense ventre qui s’est transformé en une piste de décollage spatial. Je le rassure de mes mains, de mes prières. Comment vit-il cette descente?

Il est 18h et je me questionne, « pourquoi ai-je si mal ? Je veux de l’aide ! Emmène-moi à l’hôpital, tant pis ! ». Mon amour tient bon : « rappelle-toi, ce n’est pas ce que tu veux, sois forte ». Il me propose d’appeler D. et j’accepte difficilement, me forçant à trouver une voix humaine. Elle nous rassure bien vite « tout se passe très normalement ! Tu as mal, c’est bien, embrasse ta douleur, tu saignes un peu, pas d’inquiétude, tu hurles ? Plus fort ! » nous la remercions et déjà j’ai retrouvé toute ma force.

Quelques minutes après, mon corps change de ton, il vient en moi une sensation d’apesanteur et de lourdeur, le bébé est très bas dans mon bassin et appuie de toutes ses forces contre mon sacrum. Je m’assieds sur la table à manger et mon compagnon vient évaluer l’avancée du travail, il sent la poche des eaux et un crâne bien dur pas si loin dans mon utérus. Serait-ce enfin notre bouquet final ?

Je m’accroupis au pied du canapé, et commence à pousser, plus fort, plus fort. Ai-je assez de force ? Je me sens déjà épuisée, à bout. Pousse, pousse, vas-y ! Mon compagnon entame un chant de transe au creux de mon cou, ainsi je reste ancrée dans la réalité et le sol. Je lui dis d’un souffle que je veux mourir, et je le répète, je dois mourir. Et c’est vrai, je meurs et me métamorphose. Je meurs pour donner la vie et renaître.

La poche des eaux finit par se rompre et explose sur mes pieds, je suis maintenant à genoux et la tête du petit être est à bout de doigts.

Mon corps se déchire en deux et mes cris sont de lionne. Je sens le petit corps descendre avec entrain. Puis, alors que mon compagnon s’exclame qu’il perçoit la tête et me voit m’ouvrir comme une fleur, l’enfant jaillit tout entier dans ses mains ouvertes en un ultime hurlement de délivrance. Comment décrire la sensation de ce passage… Impossible, c’est le secret de chaque naissance.

Ému aux larmes l’homme donne à la femme l’enfant qui chante la vie d’un cri strident. Je découvre son corps glissant de sang et la serre, cette petite fille, tout contre mon visage, le souffle coupé. Je ris.
Je la prends dans mes bras et retourne m’installer près du feu, lui présente mon sein qu’elle attrape aussitôt goulûment. L’espace a changé, la matière tout autour de moi n’est plus la même, à présent nous sommes trois pour la vie, nous sommes blottis les uns contre les autres, émerveillés, sans voix.

Mon compagnon m’annonce le prénom qui vient sonner en son esprit. L’enfant paix, la déesse gitane blanche sur les flots.

Mais tout n’est pas terminé, et la lucidité me revient, car au bout du cordon battant, le placenta, frère de sang de l’enfant doit sortir. Il ne vient pas. D. monte dans sa voiture et arrive à toute allure pour me venir en aide, par précaution je bois quelques gouttes de teinture d’hamamélis.

Instant suspendu, j’appelle mes parents pour leur annoncer la nouvelle, ils s’impatientent, comme tout le grand cercle d’amis et de femmes autour de nous, de cette naissance peu conventionnelle. J’entends ma mère respirer enfin et mon père pleurer. Quel bonheur !

Vient le moment de couper le cordon qui ne bat plus, nous stérilisons une lame de fer et expliquons à mon bébé qu’à présent elle n’en a plus besoin, qu’elle se nourrira en mon sein et trouvera du réconfort en nos bras. Nous remercions l’organe bleuté d’avoir veillé sur notre enfant et « couic! » bienvenue parmi nous !

 

Quand D. arrive je suis montée chercher de l’argile pour le cordon, notre amie n’en revient pas « quelle énergie! » c’est vrai que je me sens si bien ! Rapidement, elle m’aide à accoucher du « gâteau de vie » qui était en cours de route pour descendre et en parfait état. (Qui est encore au congélateur, attendant d’en faire des remèdes et un petit rituel)

Mon compagnon tient l’enfant tout contre lui et tandis que notre sage (très sage) femme avale un pot de crème de marron et une bonne tasse de café je me précipite sous une douche apprécier mon corps seul retrouvé.
La nuit est déjà bien entamée, D. nous quitte et nous montons nous coucher tout contre le minuscule corps chaud et fragile, plus rien n’existe à part nous sous la lune… Quelle journée!

Ainsi s’achève l’histoire de notre naissance où commence celle de la parentalité, qui vibre chaque jours en nous depuis et, pour toute notre vie.

Merci D. pour ta calme écoute, tes rires et ta franchise, tu es une mère, une sœur, une femme entière et parée d’or. Tu nous a révélés à notre acte de vie.

Merci à toi ma mère de m’avoir enfantée comme tu l’as été, d’être branche et racine et d’avoir accepté de vivre ce choix de naissance malgré ta peur, d’avoir tenu bon.

Merci mon père de nous avoir toutes soutenues, merci pour ta voix et tes pleurs, la plus belle des musiques qui soit.

Merci à toi mon compagnon car avec toi tout était possible et doux, tu étais ma lumière, le phare au bout de la grève, tu es le plus beau père qui soit et chaque jour tes yeux me le rappellent.

Merci enfin à toi petite louve, enfant de la balance et des gémeaux, tu as accompli une épopée magique et ta venue est le plus pur éclat.

Merci la terre, merci le ciel, merci la vie.

L.

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